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« CO-RESPONSABLES DE L'AVENIR », NOTRE ENTRETIEN COMPLET AVEC FRANÇOIS BAYROU

Dernière mise à jour : il y a 3 jours



« Co-responsables de l’avenir », entretien réalisé avec François Bayrou, nouveau Premier ministre, ancien Haut-commissaire au Plan, par Benjamin LABONNÉLIE et François Miquet-Marty, dans le cadre du livre S'ENGAGER !, paru aux Editions Fauves l'hiver dernier avec l'Observatoire français des Corps intermédiaires

 

Monsieur, avant peut-être d'aborder une vision plus politique de l'engagement organisé et de ce que l'on peut en faire sur un plan démocratique, de sa place dans l’ordre social et dans l’architecture du pouvoir, pourriez-vous nous dire, en tant que citoyen, quel sens François Bayrou donne au simple mot d'engagement ?

Cela correspond à une conception première chez moi. Une conception de la société et de la société politique. Nous nous sommes égarés dans une conception de la société qui la réduit en fait à un champ de luttes. Je sais bien que les luttes existent, la lutte sociale, la lutte idéologique, la lutte des classes, mais pour moi ce n’est ni la réalité dominante, ni la plus légitime. Ce qui devrait être premier, c'est que nous nous reconnaissions, dans nos différences mêmes, comme coresponsables de l'avenir. C’est cette notion de démocratie de responsabilité ou de coresponsabilité, qui pour moi est première.

C'est la grande différence entre un citoyen et un sujet. Quand Aristote a eu à définir ce qu'est un citoyen, il a proclamé que c'est celui qui délibère, celui qui participe à la délibération.

Cela ouvre une conception beaucoup plus riche de la démocratie. En France, nous vivons depuis très longtemps avec une conception complètement archaïque à mes yeux, qui réduit la démocratie et le rôle du citoyen dans la démocratie à choisir ceux qui vont gouverner à votre place ! On voit que le fond monarchiste ou féodal de la société politique française n’a pas disparue. On considère qu’il y a des gens qui sont au-dessus et qui, pour une raison ou une autre, les concours qu'ils ont passés, la compétence, la légitimité qu’ils ont acquise par la naissance, se voient reconnaître le droit de décider à la place des autres citoyens. Je me bats souvent vainement, depuis des décennies, pour que cette conception change et qu'on accepte l'idée que les citoyens « de base » sont nécessairement engagés et devraient nécessairement avoir leur mot à dire lorsque des décisions majeures se préparent… Autrement dit qu’on les considère comme coresponsables, comme codécideurs.

On vient d'avoir une illustration de cette différence de conception dans le débat sur les retraites. Dans ce débat, je me suis battu comme un chien, et je n'ai pas été entendu. Pourtant, ma certitude est que si l'on avait donné aux citoyens les éléments précis qui leur permettent de juger la situation exacte dans laquelle nous sommes, alors massivement, ils auraient compris qu'il était nécessaire de faire une réforme. Et je suis même persuadé, en mon for intérieur, qu'on aurait gagné un référendum sur ce sujet !

 

C'est le sens du rapport que vous avez publié avec des données objectives pour nourrir le débat civique.

C'est une démarche inédite dans laquelle le Commissariat au Plan a posé sur la table les vrais chiffres, alors que notre pays vit depuis des décennies avec de faux chiffres. C'est-à-dire que les institutions officielles chargées de dévoiler et de rendre publics les éléments précis d’analyse de la situation, s'étaient arrangées pour qu’une vision rassurante prenne le pas sur toutes les autres visions. Une vision qui prétendait que les régimes de retraite étaient à l'équilibre.

Alors certes ils sont comptablement à l'équilibre. C'est le contraire qui serait malheureux puisque depuis des décennies, l'État, c'est-à-dire le contribuable, verse chaque année des dizaines de milliards pour assurer l'équilibre ; j'ai dit le chiffre de 30 milliards, et c'est un chiffre volontairement modéré. Donc, les citoyens vivaient, ont vécu, vivent encore, pour une grande partie d'entre eux, avec l'idée que cette réforme n'était pas vraiment nécessaire, que c'était donc une volonté relevant de l'arbitraire, du pouvoir et de l'idéologie qui l'anime.

Si je traduis, je dirais une idéologie que ses contempteurs considèrent comme néolibérale pour plaire à des puissants ou à des riches ou hiérarques mystérieux ? Or, si le citoyen, je répète celui qui est appelé à délibérer selon Aristote, si le citoyen n'a pas les éléments qui lui permettent de se forger un jugement, alors il n’est qu’un sujet. Des décisions sont prises en dehors de lui et il n'a qu'une attitude, c'est de manifester, de se révolter, d'être en guerre contre le pouvoir.

 

C'est le sens de votre livre qui s'intitulait De la vérité en politique, qui date d'il y a une dizaine d'années. Je crois qu'il est sorti en 2013. Donc, et c'est alors ce qui est intéressant dans cette vision-là, c'est le dépassement il me semble des enjeux purement institutionnels… Dire que l’on comprend qu'il y a les sujets institutionnels d'aménagement, d'équilibre des pouvoirs qui n'est pas peut-être pas suffisant, mais aussi des éléments que l'on pourrait qualifier de supra politique, qui relèvent peut-être de la vérité, de l'importance de la vérité. Par-delà le refus des fausses promesses, vous évoquez au fond de nouveau et d'une autre manière, la vérité dite au peuple qui est nécessaire pour pouvoir mettre en scène et faire vivre la démocratie elle-même…

Et il y a aussi le registre de l'éducation qui vous est, qui vous tient à cœur, n’est-ce pas ?

Alors vous voyez bien qu'on touche là à des sujets centraux et au fond, à l'engagement de toute une vie.

Il y a des gens, très nombreux, qui au fond croient que la démocratie, c'est fini. Même s’ils ne le disent pas tout haut. Il y a des gens qui pensent que les pays à régime qu'on appelle illibéral, c'est-à-dire qui tourne le dos à la liberté personnelle au nom de la raison d'État, que ces régimes-là ne marchent pas si mal. C'est la majorité des pays désormais sur la planète, en tout cas un nombre considérable, et qui s’installent en Europe même. Et quand on a vu le Trumpisme aux États-Unis, l'assaut contre le Capitole, bien des régimes d'Amérique du Sud, d'un bord ou de l'autre, d'extrême gauche ou d'extrême droite… Évidemment, la Chine, évidemment, la Russie aujourd'hui, alors on s'aperçoit des faiblesses de l'archipel des démocraties et de notre fragilité, nous les pays qui essayons de faire vivre cet idéal… Quand on a une vision claire de ce qui se passe aujourd'hui, on ne peut pas se poser des questions !

Il y a beaucoup de gens qui limitent la démocratie au choix par les électeurs de leurs élus. Au choix des gouvernants. La démocratie, pour ceux-ci, c'est le peuple qui choisit ses couleurs…

 

C'est le principe représentatif.

Oui, mais pour moi, la démocratie devrait dépasser de beaucoup ce mécanisme de sélection, et pourquoi ? Parce que dans ce modèle, dans le type de société dans lequel nous vivons, où les médias en continu ont une place prépondérante, et désormais partout et à tout instant, avec aussi les réseaux sociaux, les smartphones, etc. tout cela fait qu’évidemment, est démultipliée la constante propagation des nouvelles fausses ou vraies… Et l’on va voir avec chat GPT que cette question du faux et du vrai va devenir absolument bouleversante.

Quand l'information est partout, et la participation nulle part, alors la révolte devient ultra puissante, l'esprit de révolte devient irrésistible. Je dis très souvent à mes amis, qu’autrefois sous Clemenceau, on envoyait les policiers dans des voitures banalisées avec des armes efficaces et rustiques et que ça réduisait une partie de la révolte, qu’on envoyait les agents de police avec leurs pèlerines roulées en boule qui faisaient matraques et personne ne savaient qu'il y avait des blessés et même plus gravement encore des morts. Puisqu'on ne les voyait pas. Mais aujourd'hui, une jeune fille de 16 ans, lycéenne, se fait éclater l'arcade sourcilière dans une charge de police, on ne sait pas très bien comment, et elle revient couverte de sang. Et ça fait tous les journaux de 20 heures et ça fait tous les réseaux sociaux. Et la vague d’émotion emporte tous les barrages.

L'idée de passer en force, qui a été par exemple l'idée de Thatcher quand elle a décidé d'imposer sa vision de l'avenir et qu'importe que les mineurs fassent la grève de la faim et en meurent, c’était une manière d'asseoir la toute-puissance du pouvoir !

Ma conception enfin, mon idée est que le temps du passage en force aussi n'est plus de saison. Et donc il nous faut construire la place des citoyens dans l'organisation de la délibération et des pouvoirs.

 

Ce qui passe par l'école ?

Cela passe par une capacité d'information, de partage avec l'opinion publique que je préfère appeler l'opinion civique, de partage des éléments qui permettent de construire une volonté politique, une décision, une stratégie, une orientation. Et au bout du compte de trancher un certain nombre de problèmes. Sur les cas les plus graves, il ne faut pas hésiter à imaginer qu'on le fasse par référendum, de manière à ce qu'il n'y ait pas des blocages corporatistes comme on en voit beaucoup. Et donc, une attention portée d'abord à l'analyse. Et ensuite, à l'éducation populaire si je puis reprendre des expressions très anciennes pour avoir une élaboration partagée d'un diagnostic et d'une stratégie.

C'est exactement ce que j'ai essayé de défendre pour la réforme des retraites, me heurtant à une espèce d'inertie générale. Inertie générale, qui est à la fois le fruit de l'habitude et d'un certain nombre d'intérêts.

Si je prends la réforme des retraites, ma conviction hélas, et je dis cela, franchement, je préférerais ne jamais avoir à penser ça, c'est que la plupart des gens ignoraient les chiffres, ne savaient pas. Et peut-être jusqu'à nombre de responsables de haut niveau eux-mêmes. Car il y a bien des responsables de haut niveau qui ont dit que c'était équilibré. L’absence ou l'ignorance entretenue à ce degré est profondément nuisible à la vie démocratique d'un pays, à sa capacité à décider de son avenir les yeux ouverts.

Et donc si on veut faire un bilan sommaire, je vais avancer à la louche. Que la moitié de l'endettement du pays sur les 20 dernières années, ce sont les retraites. Et pourquoi ? Parce qu'un certain nombre de ceux qui étaient assis autour de la table, dans les institutions chargées de faire la lumière, un certain nombre de ceux-là avaient intérêt à ce qu'on ne sache pas, et que cet équilibre précaire dure encore un peu. Ils y sont arrivés d'ailleurs. Et un certain nombre d'autres ne voulaient pas alarmer. Tu es malade mais je ne veux pas te le dire parce que ça pourrait te décourager. Et donc cette situation-là exige, en réalité, une reconfiguration complète de la démocratie dans laquelle nous vivons. Et j'emploie le mot démocratie au sens large, pas institutionnel mais médiatique, civique et d'organisation de la société. C'est pourquoi l'organisation des corps intermédiaires devrait être une nécessité.

 

Et la culture démocratique, en poussant si nous pouvons nous le permettre votre réflexion à l'étape suivante, ce que vous soulignez, c’est l'importance d'avoir des informations crédibles, fiables, reconnues, de vérités qui nourrissent la réflexion. Mais vous faites le présupposé, par ailleurs, que les citoyens devront ou devraient, dans une démocratie idéale, débattre, délibérer, c'est le mot que vous utilisez ; mais est-ce que les citoyens ont véritablement envie de délibérer, n'est-ce pas plus simple d'envoyer des tweets assassins, de proférer des injures sur des réseaux sociaux peut-être ? Et d'où vient ou viendrait cette envie de délibérer et comment, autrement dit, par quelle magie, par quelle éducation, par quelle culture pourrait-on la renforcer ou la faire éclore ?

Envie, mais je n’en suis pas sûr ! C’est le pari de Pascal : est-ce que je suis sûr que ça marche ? Je n’en suis pas totalement sûr mais l’autre attitude est sans issue.

Si la violence n'est pas une solution, peut-on trouver un nouvel équilibre en dehors du changement de modèle que je préconise ? Je suis sûr que non.

Vous voyez bien à quoi on s'expose, quelle est la succession dramatique dans laquelle nous vivons ? Mécontentement, campagne électorale, promesses intenables, mécontentement et de nouveau révoltes et c’est comme ça que ça marche, ou plutôt que ça ne marche pas du tout. Donc ça n’est pas une voie praticable, ni durable. Ça ne peut pas durer parce qu'on ne peut pas mener, conduire, sans violence, une politique de reconstruction contre le peuple qui va la vivre.

Ce n'est pas d'aujourd'hui, on ne peut pas faire de réforme essentielle contre le peuple des citoyens.

On peut faire des réformes où le people, tant bien que mal, accepte, et ce n’est pas du tout la même chose, mais quand vous êtes dans une situation d'affrontement irréductible, ça ne marche pas.

Encore une fois, même sur des sujets qui ne sont pas faciles à comprendre, on peut partager avec les citoyens, honnêtement, les raisons de l’action.

Nous avons avec le Plan produit une analyse qui a aidé à changer, je crois, la politique énergétique française sur le nucléaire. Parce que nous avions trouvé, nous avons partagé un raisonnement crédible qui n’a pu être contredit par aucune autorité significative ni aucun courant d’opinion ayant du crédit. Le raisonnement s’articulait ainsi : si vous voulez tenir les objectifs de décarbonation qu'on s'est fixés tous ensemble, il faut aller vers davantage de renouvelable. Mais étant donné la nature intermittente du renouvelable, alors il faut ce qu'on appelle du pilotable et le seul pilotable qui n'émette pas de gaz à effet de serre, c'est le nucléaire.

C'est convaincant parce que c’est vrai. Et donc tout d'un coup, ça a participé à une conversion de l'opinion. Et le président de la République a tranché à mes yeux, dans le bon sens. Alors que tout l'écosystème était contre.

 

Donc, comment faire, comme disait Lénine ?

A l'époque de l'Antiquité grecque que vous évoquiez tout au début, nous pensons à un très beau livre qui s'appelle la démocratie à l'époque de Démosthène, qui raconte la démocratie en Grèce, l’auteur du livre dit, que les citoyens grecs étaient rétribués pour aller en Assemblée. Cela ne reposait pas uniquement sur le rôle de la bonne volonté, mais pour délibérer - et il y avait de véritables délibérations - il y avait des formes de rétribution, une libération si l’on peut dire, sur leur temps de travail à l'époque, y compris une rétribution financière parfois. Donc est-ce que c'est cet horizon-là qui vous semble intéressant, c'est à dire, il y a quand même un point, une ligne de fuite ?

C'est très éloigné, en dépit des apparences, très éloigné de ce que nous sommes, car la société grecque, c'est une société d'esclaves. C'est 95 % de la cité. Les esclaves sont considérés comme des machines, on les vendant comme on vend sur Leboncoin, ils sont des moteurs et Jancovici ici a montré très bien à quel point l'énergie nous a libérés de cette contrainte. Parce qu'Athènes c'est beaucoup plus le tirage au sort que l'élection. Le tirage au sort, qui postule que tous les gens se valent et que le hasard vaut le vote.

Contrairement aux apparences, pour moi, ce n’est pas du tout l’exigence des temps. Les temps exigent de la transparence. Des conventions citoyennes tirées au sort, pour parler, oui. Pour déplier les sujets oui, au contraire, c’est très bien, mais pour décider en dehors des institutions, non ! Pour délibérer non ! Parce que la délibération, ça appartient aux citoyens, par leur suffrage direct ou par leurs représentants.

La Constitution dit bien que nulle partie du peuple ne peut s'en arroger le la légitimité. Et donc il n'y a que deux manières ;

Ou bien les citoyens délèguent en toute conscience leur droit à délibérer, c'est la démocratie représentative et c'est nécessaire. Parce qu'il faut, comme vous le soulignez, investir beaucoup dans le temps du débat.

Ou bien ils peuvent décider directement par référendum.

Mais tirer au sort des gens qu'on ne connaît pas, porteur de thèses qu'on ne connaît pas, selon une organisation du débat qu'on ne connaît pas, pour les faire voter, alors pour moi, ça ne ressemble pas à la démocratie dont nous avons besoin. Et donc, vous voyez bien qu'il y a là des conceptions qui semblent proches et qui sont en réalité assez éloignées. Et pourquoi est-ce que les Grecs postulaient que le tirage au sort était une bonne chose ? C’est parce qu'ils postulaient que les dieux s'en occupaient.

 

Lesquels Dieux ont peut-être disparu…

Les dieux faisaient leur affaire du tirage au sort et donc, au fond, les gens, les hommes, car il n’y a pas de femmes là-dedans, les hommes étaient égaux entre eux, mais c’étaient les dieux qui choisissaient. On ne le dit jamais mais c'est Rome qui a apporté l'élection. À la même époque au même moment, à Athènes, on choisit le tirage au sort, et à Rome, on choisit l'élection et pour moi, c'est évidemment très important. Ce qui fait que je me sens assez proche aussi des Romains (sourire).

 

Pensez-vous que cette société de confiance que vous appelez de vos vœux puisse reposer en partie et comment sur les corps intermédiaires, qui concentrent quand-même la plus substantielle partie des hommes et femmes de bonne volonté du pays, tous acteurs du Bien commun à des intensités diverses ? Ne serait-il pas souhaitable que l'ordre social que vous souhaiteriez rencontre un peu plus l'architecture du pouvoir ?

Enfin, vous évoquiez également les médias, quel rôle pourraient-ils jouer ?

Je ne crois pas, en tout cas dans le domaine politique, à l'opération du Saint Esprit.

Je ne crois pas du tout que les médias vont tout seul s’y astreindre et je ne crois pas qu'on puisse leur assigner un rôle. Il n'y a que le pluralisme qui puisse permettre de faire cheminer une lecture, une analyse et une volonté.

C'est pourquoi le pluralisme est précieux dans une démocratie, le pluralisme des médias et le reste, c'est de l'éducation Et les corps intermédiaires, le rôle des associations notamment est très important dans cette optique éducative notamment. Le rôle de la démocratie de proximité est très important. Le rôle de la démocratie nationale dans un pays national comme la France, c’est très important aussi.

Je vais dire quelque chose d'étrange. Je suis persuadé que le Parlement ne serait pas le même si les chaînes de télévision ne coupaient pas les micros de l'hémicycle. Car évidemment, ce que nous entendons à la télévision, ce n'est pas ce qui se passe dans l'hémicycle. Dans l'hémicycle, il y a des hurlements insanes, honteux. Au sens propre, les députés n'entendent pas ce qu'il se dit. Mais la télé coupe les micros qui sont dans l'hémicycle pour ne laisser que le micro de l'orateur, alors, ça paraît un peu chahuté, mais pas plus que ça, pas trop inquiétant, seulement de grands enfants qui se tiennent mal. Mais en réalité, ce n’est pas comme ça que ça devrait être : si les gens se rendaient compte vraiment de l’attitude de leurs représentants, des cris d’orfraie et des noms d’oiseaux qui volent, ils souhaiteraient une délibération plus respectable, se fâcheraient contre ces attitudes-là, et ça changerait. Le mec qui s'est fait engueuler dans sa circonscription 3 fois parce qu’il se tient mal, il ne recommencera pas !

Et donc le travail d'éducation, mais l'éducation au sens large, ce n'est pas seulement l'éducation civique à l'école. Heureusement car il n’y en a quasiment plus. Mais c'est un très gros travail que font, ou que devrait faire les corps intermédiaires qui ont leur légitimité.  A mes yeux, la Révolution française s'est trompée en les écartant, parce que croire qu'on puisse avoir uniquement le face-à-face entre le sommet, le président et les citoyens., c'est courir le risque d'un désordre approfondi et multiplié. D’où les corps intermédiaires. Mais bon, nous avons voulu un Conseil économique, social et environnemental maintenant, qui devrait avoir ce rôle-là… Confessons ensemble qu'on en est assez loin.

Pour moi, toute l'organisation du débat devrait correspondre à cette analyse et à cette volonté. Allons plus loin. Le fait qu’il n’y ait pas organisation des débats du tout aujourd'hui, cela entraîne une prise de contrôle subreptice par des groupes qui s'en occupent ! Si l’on regarde de près, sur chacun des sujets, sujets sociétaux en particulier, des groupes d’influence pas toujours représentatifs s’occupent d’imposer leur voix et donc on a l'impression du matin au soir à la télé, d'entendre les mêmes mots, les mêmes thèses, les mêmes orientations… C'est incroyable, c'est incroyable sur le sujet de l'école notamment.

 

Et comment pourrait s'articuler selon vous cette démocratie délibérative, nourrie par les citoyens et la démocratie représentative telle qu'on la connaît aujourd’hui ?

Les deux sont nécessaires, la démocratie représentative a le mérite d'une légitimité. Elle permet d'identifier des visages porteurs de thèses., d'incarner. Le verbe se fait chair. Et ça compte beaucoup au temps des médias en particulier. Avant, c'était une démocratie écrite, maintenant c'est une démocratie de visages, de voix et de statures. Et d'expérience personnelle. Et donc les deux sont nécessaires. Mais à condition d'avoir une pensée qui soit pardon du mot, un peu systémique. Comprendre comment se passe la diffusion et la remontée des messages à l'intérieur de ce que devrait être la pyramide démocratique...

D'abord, qu'on comprenne ce qu'on veut. On veut des citoyens qui soient capables de prendre leur part de la décision publique. Ne pas se contenter de croire et de penser comme on le fait si souvent qu’au fond, ce sont des consommateurs. Des individus obsédés uniquement de leurs envies, de leurs désirs et qui n’attendent qu’une chose de leurs gouvernants, c’est qu’ils les satisfassent.

Or la pratique de la politique, ce n’est pas de regarder les sondages et de faire ce que les sondages exigent de vous, c’est à peu près le contraire. Dans l'idéal démocratique, aussi bien que dans la pratique. Si vous gouvernez au sondage, vous êtes à peu près certain de vous casser la gueule. Pourquoi ? Parce qu'inconsciemment, ce que les citoyens attendent, c'est quelqu'un qui va leur permettre de voir plus loin, mieux, plus juste que ce qu'ils font spontanément autour de la table du week-end...

Donc on peut postuler de quelque chose d'assez simple que vous m'avez déjà entendu dire : le vainqueur de demain est un minoritaire d'aujourd’hui. À coup sûr, jamais le majoritaire n’est programmé pour gagner. Majoritaires aujourd’hui, au bout du compte ils perdent parce que chaque fois qu'une élection s'ouvre, ce que veulent les citoyens, c'est un dévoileur de l'avenir. Quelqu'un qui va leur parler une langue qu'ils ne connaissent pas encore.

 

Quelqu’un qui s'inscrit dans cette idée de résolution dont vous avez fait aussi un livre plus récent, Résolution française

Mais nous avons encore un peu moins de 4 ans devant nous de mandature Macron, quelle serait votre souhait, notamment concernant la question de la réforme des institutions, pouvant permettre au moins sur le plan institutionnel de faire émerger cette société que vous appelez de vos vœux ?

Vous voyez bien qu'en m'exprimant comme ça, je ne je ne m'enferme pas dans le cadre étroit institutionnel qu'on connaît d'habitude, le mode de scrutin et le rôle des chambres et de la constitution qui arrête, qui borne le gouvernement. Je pense que c'est beaucoup plus large que ça et je pense que sur les retraites, on a manqué une chance formidable. Parce que c'est très rare les sujets sur lesquels on est sûr que dans les faits est dissimulé une stratégie irrésistible. Très rare. On avait bien commencé sous la mandature précédente parce que c'était beaucoup plus large. Et puis on s'est arrêté et c’est ce qui fait que personne n'a été convaincu. Je voyais hier une interview de Madame Pénicaud, qui critiquait de manière virulente la réforme en disant que ce n'est pas vraiment une réforme qu'on a fait et avec un dégât d'opinion considérable.

Donc il est temps oui, de greffer sur la vie politique que nous avons, une vision qui permette de lui donner un autre sens.

 

Voilà une note d'espoir. Merci infiniment François Bayrou.

 

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